À propos de: Au Petit Bonheur la Science

Dans La Presse, Pierre Tircher produisait vendredi une réponse à mon article de mardi résumant les travaux d’Angus Deaton, Daniel Kahneman, Megan Teague et al. Je produis ici une contre-réponse.

La première affirmation avancée par M. Tircher veut j’ai choisi les éléments de l’article de Deaton et Kahneman qui m’intéresse. En conséquent, j’ai ignoré les autres éléments. Plus précisement, j’ai décidé d’ignorer les mesures de “bonheur émotionnel” afin de privilégier les mesures de “satisfaction de vie”. En effet, j’ai fait cet effort tout simplement parce que Deaton et Kahneman croient justement que les résultats sur la “satisfaction de vie” sont ceux qui sont pertinents.  Vers la fin de l’article, ils expriment clairement qu’ils croient que la “satisfaction” est une mesure “pure” du bonheur:

We speculate that the Cantril ladder of life is a purer measure of life evaluation than the life satisfaction question, which has an emotional aspect, and that the reports of the emotions of yesterday provide a purer measure of emotional well-being than the standard happiness question (…) The Cantril ladder is a serious contender for the best tool for measuring the degree to which individuals view themselves as achieving their goals, both material and other.

Et cet opinion est de plus en plus partagé parmi ceux qui étudient les relations entre “bonheur” et “revenu”. En effet, cet article dans Social Indicators Research conclut que la satisfaction de vie (basée sur l’échelle de Cantril) est nettement supérieur pour mesurer le bien-être des individus. (Voir aussi ces écrits de Deaton dans Journal of Public Economics qui réitèrent ce point)

Ensuite, il faut comprendre les types de données utilisées par Deaton et Kahneman qui les poussent à faire cette affirmation. Ils utilisent des données dites en “coupe transversale” c’est-à-dire des données sans variable de temps (par exemple, un recensement est un ensemble de données en coupe tranversale). À plusieurs reprises dans d’autres articles, ils ont souligné qu’il faut être prudent à l’égard de ce genre de données puisqu’il ne nous dit pas l’effet d’augmenter le revenu et/ou si le point de satiation entre bonheur (tant satisfaction de vie que bonheur émotionnel) se déplace vers le haut. D’ailleurs, M. Tircher se garde bien de souligner une phrase importante dans l’article de Deaton et Kahneman:

When interpreting our findings, it is essential to distinguish changes from differences. Our data speak only to differences; they do not imply that people will not be happy with a raise from $100,000 to $150,000, or that they will be indifferent to an equivalent drop in income. Changes of income in the high range certainly have emotional consequences

Dans un article du American Economic Review, Justin Wolfers et Betsey Stevenson ont remedié à cette limitation en utilisant des données d’enquête qu’on peut suivre dans le temps pour une multitude de pays. Voici le résumé qu’ils produisent de leur étude:

Many scholars have argued that once “basic needs” have been met, further rises in income are not associated with further increases in subjective well-being. We assess the validity of this claim in comparisons of both rich and poor countries, and also of rich and poor people within a country. Analyzing multiple datasets, multiple definitions of “basic needs” and multiple questions about well-being, we find no support for this claim. The relationship between well-being and income is roughly log-linear and does not diminish as incomes rise. If there is a satiation point, we are yet to reach it.

Il faut souligner que cette conclusion s’applique à tous les genres de mesure du bonheur (pas juste satisfaction de vie) qu’on peut générer. La conclusion qu’il n’existe aucun point de satiation entre bonheur et le revenu est relativement bien partagée depuis environ une dizaine d’années grâce à des avances importantes dans les méthodes statistiques et la qualité des données. Par exemple, le Journal of Applied Econometrics  a publié un article démontrant, utilisant une méthode encore plus sophistiqué que Wolfers et Stevenson qui conclut que:

Overall, we find no evidence of a satiation point, which is in support of Stevenson and Wolfers

En fait, ceci est cohérent avec une idée alternative provenant de certains résistants à la nouvelle conclusion qui se cimente depuis Stevenson et Wolfers (2013). Le point de satiation n’a pas besoin d’être stable et peut être repoussé. Dans un article du Journal of Economic Behavior & OrganizationDavid Clingingsmith trouve qu’il y a un point de satiation mais il se trouve à 200,000$ et non pas 75,000$ – un point qui se déplace.

Quant au dernier point de M. Tircher concernant ma lecture de Teague et al., il suffit de souligner que Rosemarie Fike et Virgil Storr (deux des auteurs) sont des amis personnels. J’ai parlé avec eux (particulièrement avec Rosemarie) du sujet de cet article dans Constitutional Political Economy. J’ai confirmé avec eux ma lecture de cet article et concernant le point de la corruption que M. Tircher fait. Ils soulignent que ma lecture est la bonne particulièrement parce que la mesure de la liberté économique qu’ils utilisent (dont je n’ai pas discuté dans mon article) est corrélée négativement avec la corruption et avec le revenu par personne. Ainsi, ils établissent un argument de co-dépendence entre liberté économique et positivement revenu (les deux se renforcent même si ils ont des effets séparés). La lecture de M. Tircher n’est donc pas celle des auteurs eux-mêmes.

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