L’emprise de l’Église, 1901-1960

Récemment, mes billets sur la Grande Noirceur ont mené à des critiques voulant que la période en étant une sur le plan social. Par “social”, on évoque surtout l’Église et son rôle démesuré dans la société québécoise. Néanmoins, il faut être sceptique de la littérature qui discute du rôle de l’Église et de son emprise puisqu’elle est méthodologiquement douteuse. Pour étoffer l’idée de la mainmise de l’Église on discute des conflits politiques, des “grands personnages” et des idéologiques concurrentes. Aucune de ses approches n’essaie de voir si l’emprise de l’Église sur les comportements et moeurs de l’Église s’éffritait ou se solidifaient.

Il est bien plus pertinent de regarder les statistiques sur les comportements de la population en générale. À cet égard, je pense qu’il faut regarder les données sur les naissances relativement à l’Ontario, le taux de nuptialité, le taux de divorce et les effectifs religieux relativement à la population. Je propose ces indicateurs puisque récemment, certains historiens ont commencé à étudier les comportements sexuels des Québécois avant 1960. Le déclin de la fécondité et de la nuptialité qu’on associe à la Révolution Tranquille pré-date celle-ci de plusieurs années. En fait, l’historienne Danielle Gauvreau déclare dans un article d’Études d’Histoire Religieuse que cette croyance populaire « est inexacte en ce qu’une portion non négligeable du déclin survenu avant les années 1960 et sans l’aide d’un moyen de contraception moderne comme la pillule ». Elle ajoute qu’elle est « en mesure de conclure que certains éléments de cette évolution constituent une réelle transgression de la morale chrétienne ». Si l’emprise de l’Église se relâchait, on devrait le remarquer dans les statistiques sur le comportement général de la population en refusant de se marrier aussi fréquemment, en acceptant plus fréquemment les divorces et en étant moins prolifique dans sa procréation.

Au lieu de considérer la Grande Noirceur comme une période de “stagnation”, il semble bien plus approprié de la considérer comme une période de grand rattrapage, surtout sur le plan des moeurs sociales. Les graphiques suivants viennent à l’appui de ce point de vue. Le taux de divorce est le plus intéressant à mon avis. Avant la vague de mariages pour éviter la conscription de 1942, le taux de divorce demeure plutôt bas. Après la guerre, une partie de ces marriages hâtifs se sont terminés. Toutefois, il semble qu’il y a un eu un “choc” qui durait encore en 1960. En somme, le Québec avait atteint un nouveau plateau du taux de divorces.Au même moment que les taux de divorce atteignent un nouveau plateau entre 1945 et 1960, le taux de nuptialité (les mariages) descend rapidement de son pic de la guerre. En fait, il chute constamment.

Au même moment, on voit aussi le déclin de la fécondité des Québécoises dont parlait Danielle Gauvreau. Alors que le nombre de naissances par 1,000 habitants en Ontario reste relativement stable entre 1921 et 1960 (il diminue un peu au début pour remonter ensuite), il demeure nettement inférieur à celui du Québec avant 1945. Ensuite, il semble que les jeunes Québécois ont décidé que c’était fini les grandes familles de huit enfants. Par conséquent, le nombre de naissances par 1,000 habitants tombe comme une pierre pour arriver au niveau de l’Ontario en 1960.

Ces statistiques semblent être celles que l’Église aurait aimé voir se diriger dans la direction contraire. Si son emprise était aussi forte, est-ce qu’on aurait vu un déclin aussi important de ces statistiques? En fait, quand on revient à la littérature actuelle à la lumière de ces statistiques, on peut la comprendre et rejeter ses faiblesses. Quand Maurice Duplessis disait que les évêques mangeaient à sa main, est-ce qu’il faisait vraiment référence à son pouvoir politique ou au déclin de celui de l’Église? À cette fin, regardons la taille des effectifs religieux (féminins et masculins) relativement à la population de la province. Alors que l’importance relative des effectifs religieux ne cesse de croître à chaque recensement entre 1901 et 1941,  elle commence à chuter à partir de 1941 tout au long de la période de la Grande Noirceur. Est-ce que l’appel de dieu devenait moins audible pour les croyants, les poussant ainsi à délaisser les robes de prêtres? À partir de 1948, l’historienne Martine Poulain estime dans la Revue d’Histoire du Québec qu’entre 30 et 50% des catholiques de Montréal cessèrent d’aller à l’Église pour célébrer la messe.

Est-ce que l’Église était puissante? Oui, aucun doute! Elle gérait toujours les hôpitaux et les écoles, dont les déficits opérationnels étaient épongés par le gouvernement provincial. Elle était aussi très puissante au fur et à mesure qu’on s’éloignait des villes de Québec et de Montréal. Toutefois, si la Grande Noirceur était une péridoe de “stagnation” et de “retardation”, on aurait du voir soit une solidification de la mainmise de l’Église, pas le contraire.

Note: Toutes les données proviennent des Annuaires Statistiques du Québec, Bilan du Siècle de l’Université de Sherbrooke, Statistiques Canada, Statistiques Historiques du Canada et Canada Year Books

4 thoughts on “L’emprise de l’Église, 1901-1960

  1. En effet Françoise, c’était une hyperbole de ma part pour essayer d’amuser mon lecteur dans une discussion plutôt ennuyante.

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