Je relisais récemment les livres sur l’époque de la Grande Noirceur et j’ai réalisé que plusieurs mettent une emphase importante sur le taux de chômage du Québec. Malheureusement, je n’ai pas cette fixation sur cette statistique et je n’en ai pas parlé dans mon livre (même si j’en ai parlé ici). Pourquoi?
- Le chômage est une statistique dont la compilation est souvent assujettie à des dangers de définition;
- Le chômage peut être élevé dans une économie dont la structure se métamorphose rapidement. Dans ce contexte, les individus sont prêts à assumer le risque de quitter leurs emplois et déployer des frais (des « search costs ») pour trouver un emploi plus rémunérateur dans de nouveaux domaines. Ce chômage n’est pas nécessairement indésirable.
Concentrons-nous sur le second point principalement. Rappelons que les francophones au Québec étaient à 30% occupés dans le domaine agricole en 1941 contre à peine 12% en 1961. Les travailleurs auparavant occupé dans le domaine agricole ou celui des ressources naturelles ont migré vers le secteur manufacturier en grands nombres. Les francophones auparavant employés dans le secteur industriel ont migré vers le secteur tertiaire, la finance ou les professions libérales. Il y a donc une métamorphose importante de l’économie du Québec – particulièrement pour les francophones. Comme je le documente dans mon livre, le niveau de vie des Québécois augmente beaucoup plus rapidement qu’ailleurs au Canada au cours de cette époque. Et pourtant, le taux de chômage augmente.
Mais voici, c’est ici que je pense que le point 2 devient valide. La part québécoise des chômeurs canadiens (tels que définis par la définition de 1946 dans les statistiques historiques) augmente constamment jusqu’à 1960. Cependant, lorsqu’on regarde la part québécoise des demandes d’assurance-emploi, elle demeure stable. En plus, elle est nettement inférieure à celle que le taux de chômage nous laisserait croire.
Alors, est-ce que mon hypothèse de changements structurels où les Québécois changent beaucoup d’emplois et de carrières – créant un chômage qui n’est que frictionnel – peut être défendue? Absolument puisque nous pouvons consulter les données produites par les Bureaux d’emplois du gouvernement fédéral. Ces agences servaient à « matcher » des chercheurs d’emploi avec des offreurs d’emploi. Le taux de placement (la division du nombre d’appliquant par le nombre d’appliquant ayant obtenu un emploi) augmente plus rapidement au Québec entre 1946 et 1960 et il surpasse celui de l’Ontario en 1960.
Ainsi, il y a raison de peu se soucier de la statistique du chômage surtout considérant que l’ensemble des indicateurs de la productivité du travail – documenté dans mon livre – montrent une tendance à la hausse et ce même si les heures de travail diminuent dans une époque où les impôts étaient les plus bas au Canada (les Québécois travaillaient donc moins de leur propre gré et non pas à cause de contraintes imposées par le gouvernement).
En conclusion: les Québécois s’enrichissaient, cherchaient les emplois les plus rémunérateurs parce qu’ils avaient des attentes de revenus à la hausse grâce aux changements qui se produisaient dans l’économie du Québec. Pourtant, ils travaillaient moins d’heures en même temps que la productivité par unité de travail augmentait constamment. Aucune raison de se soucier de la statistique sur le chômage pendant cette période.