Pierre Fortin : Le Pragmatique qui utilisait des raccourcis (2 de 3)

J’ai publié la semaine passée un texte sur une entrevue de Pierre Fortin. Ce texte se devait d’être le premier d’une série de trois. J’ai soumis lundi le second texte et il n’a pas été publié encore. À des fins de transparence, et pour éviter qu’on me fasse des accusations, je rend le texte ici disponible:

Pierre Fortin : Le Pragmatique qui utilisait des raccourcis (2 de 3)
Vincent Geloso
L’auteur est chargé de cours à l’Institut d’économie appliquée à HEC Montréal et candidat au doctorat en histoire économique à la London School of Economics

Récemment, l’économiste Pierre Fortin est passé en entrevue à Radio-Canada avec Gérald Fillion pour parler de l’économie du Québec. Il a fait plusieurs affirmations qui, pour les auditeurs de l’émission, pouvaient paraître impressionnantes.

Venant de M. Fortin, ces affirmations ne sont pas nouvelles: il en parle depuis le début des années 2000 afin de nous permettre d’apprécier les progrès réalisés par le Québec depuis la Révolution tranquille. Toutefois, lorsqu’on creuse en détail les données des Annuaires Statistiques de la Province de Québec, des Canada Year Books, des Canada Labour Gazette, des tables des différents recensements ainsi que des rapports annuels des différents ministères du Québec, on réalise que M. Fortin fait usage de plusieurs raccourcis pour appuyer son point de vue.

Puisque j’ai rédigé récemment un livre sur l’histoire économique du Québec de 1900 jusqu’à aujourd’hui, qui aborde notamment les études de Pierre Fortin, je pense avoir ici une occasion de rectifier les faits. Voici donc le second d’une série de trois articles qui traiteront des propos de M. Fortin.

Niveau de vie des Québécois depuis 1976

Dans cette entrevue avec Gérald Fillion, Pierre Fortin mentionne les progrès du niveau de vie des Québécois depuis 1990. La date est bien choisie pour ses fins personnelles puisqu’il exclut la stagnation relative du niveau de vie des Québécois face aux Ontariens observé entre l’arrivée au pouvoir et 1990 (de 77% à 79%). Certes, depuis 1990 le niveau de vie des Québécois s’est rapproché de la barre des 90%. Il n y a qu’un seul problème : il s’agit d’une surestimation.

Depuis les années 1970, le revenu des ménages au Québec augmente plus lentement que celui de l’Ontario. Il faut donc tenir compte de la taille des ménages. Ce point peut paraître mineur, mais il ne l’est pas. En regardant au niveau des ménages, c’est-à-dire en tenant compte des tailles différentes de ceux-ci et de leurs effets sur leur pouvoir d’achat, on peut obtenir un meilleur portrait de la richesse réelle des ménages. Des ménages plus larges permettent aux familles de bénéficier d’économies d’échelle dans leur consommation qui rendent la comparaison entre individus provenant de familles de tailles différentes plus difficile. Pour ces raisons, Statistique Canada a conçu des échelles d’équivalence afin de mieux mesurer les effets de la taille de ménage sur le revenu réel par individu « équivalent ». Lorsqu’on effectue les corrections nécessaires à partir des données du recensement, on réalise que le rattrapage dont parle M.Fortin est bien illusoire. En 1976, cette mesure ajustée (et plus représentative) du revenu était équivalente à 77.7% de celle observée en Ontario contre 76.1% en 1991 et 78.1% en 2006.

L’économiste Martin Coiteux, dans une étude du Centre de la Productivité et de la Prospérité à HEC Montréal, a confirmé cette réalité en faisant remarquer que tant le revenu de marché que le revenu après transferts (toujours ajusté pour la taille des ménages) avaient augmenté moins rapidement qu’en Ontario. Mais contrairement à mes estimations conservatrices, Coiteux estime qu’il y a eu un déclin relative entre 1976 et 2009 au lieu d’une stagnation relative. En effet, le revenu de marché par personne passe de 85,9% du niveau observé en Ontario en 1976 à 77,6% en 1991 et à 81,3% en 2009. Même si on utilise la mesure du revenu qui tient compte du montant des transferts aux individus (ce que la mesure précédente ne fait pas), on observe le même déclin : de 90,1% en 1976 à 80,3% en 1991 à 85,1% en 2009.

Depuis la fin de la Révolution tranquille, le niveau de vie des Québécois n’a pas progressé plus rapidement que celui des Ontariens ou des autres Canadiens contrairement aux affirmations de M.Fortin.

Le coût de la vie au Québec

Pour faire ces affirmations, M. Fortin s’appuie souvent sur les différences du coût de la vie entre le Québec et l’Ontario. Selon lui, le coût plus bas du logement au Québec contribuerait à réduire le coût de la vie et donc un dollar au Québec peut acheter un peu plus que le même dollar en Ontario.

Le problème c’est que ceci ne s’applique qu’aux prix du logement qui sont eux-mêmes une fonction du revenu des individus. Des individus plus riches demandent des logements plus luxueux, plus grands, plus sécuritaires, moins vieux etc. Si les Québécois sont plus pauvres que les Ontariens, il est évident que leur demande de logement sera moins dispendieuse. Comme de fait, les logements au Québec comportent en moyenne moins de pièces (5,5) qu’en Ontario(6,6). Aussi, les Québécois sont moins souvent propriétaires de leurs logements, le taux de propriété en Ontario étant de 71,1% contre 60,2% au Québec. En célébrant cela, M.Fortin produit l’équivalent d’un diabétique qui célèbre l’amputation de son pied.

Lorsqu’on regarde des biens en particulier, notamment la nourriture, on remarque que les Québécois paient généralement le même prix en dépit de leurs revenus plus faibles. Ce fait était connu depuis 1988 quand l’économiste Chris Sarlo de l’Université Nippissing avait calculé les seuils de pauvreté absolus et avait remarqué que toutes les catégories de biens et services présents dans le panier de consommation étaient plus dispendieux au Québec qu’en Ontario hormis le logement. Ainsi, lorsqu’on regarde le temps de travail nécessaire au salaire moyen pour acquérir certains biens et services, on réalise que les Québécois sont nettement désavantagés au niveau du coût de la vie et ce désavantage s’accentue.

Par exemple, un québécois moyen devait travailler 4,7% plus de temps qu’un Ontarien moyen pour acheter un litre d’essence en 1997. En 2011, on parlait plutôt de 10,5%. La société de services financiers UBS a récemment estimé le coût en temps de travail de certains biens comme un BigMac, 1kg de pain, 1kg de riz et un iPhone 4s. Les différences sont marquées : un travailleur montréalais doit œuvrer 8 minutes de plus pour le BigMac, 3 minutes de plus pour son pain, 4 minutes de plus pour son riz et 7 heures de plus pour son iPhone.

Finalement, M.Fortin oublie de considérer que le Québec bénéficie de certains biens et services à un prix subventionné ce qui n’est pas le cas en Ontario. L’électricité, les garderies et l’éducation universitaires sont les trois plus importants services subventionnés par l’État. Pourtant, lorsque Statistiques Canada compile les données sur le coût de la vie, il attribue des poids similaires à ces items pour les deux provinces. Le problème, c’est que le Québécois doit payer par un effort fiscal supérieur de 9,5% à celui de l’Ontarien. Ajoutons que puisque le Québec est un récipiendaire net de transferts interprovinciaux et fédéraux, les autres Canadiens paient eux-aussi des impôts plus élevés pour financer nos réductions artificielles des prix. Sans ces transferts, les autres Canadiens paieraient moins d’impôts et nous devrions conformément hausser les nôtres.

Ainsi, le coût de la vie au Québec n’est pas inférieur à celui de l’Ontario en dépit des protestations du professeur Fortin. Par conséquent, le niveau de vie réel des Québécois a non seulement stagné relativement à l’Ontario depuis 1990, mais M.Fortin le surestime de beaucoup.

Les heures de travail des Québécois

Dans la même entrevue, M. Fortin mentionne que les Québécois travaillent moins longtemps que les Ontariens. Si ce point est vrai, il est trompeur de le prendre comme un succès. Ne vous trompez pas, je n’ai pas de problème à ce que certains individus aillent attribués une valeur supérieure à leurs loisirs qu’au gain d’une heure supplémentaire de travail. Tous les individus ont des préférences quant à l’allocation de leur temps. Certains individus se fixent une cible de revenu pour combler leurs besoins et lorsqu’ils l’atteignent, ils cessent de travailler. La question consiste donc à savoir qu’est ce qui force les gens à travailler plus longtemps qu’ils ne désirent vraiment ou ce qui les décourage de travailler davantage.

Il faut se demander si l’observation de M.Fortin n’est pas le résultat du fait Québec a non seulement un niveau de vie plus bas qu’en Ontario mais que les impôts sont conformément plus élevés. Si M.Fortin a raison et que les Québécois valorisent davantage leurs loisirs que les Ontariens, la situation actuelle les incite à travailler davantage qu’ils ne le feraient – toutes choses étant égales par ailleurs. Si les Québécois ne valorisent pas davantage leurs loisirs que les Ontariens, ceci signifie qu’on réduit artificiellement l’offre de travail au Québec. Dans les deux cas, il n y a rien à célébrer.

Conclusion

Depuis 1976, le niveau de vie réel des Québécois n’a pas augmenté plus rapidement que celui des Ontariens. Au mieux, il a augmenté à la même vitesse indiquant que le fossé entre nous et l’Ontario est demeuré le même. Au pire, le fossé s’est agrandi. Il faudra peut-être ranger le champagne pour le laisser refroidir encore un peu.

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