Pierre Fortin continue de répèter ses propos sur le coût de la vie. Fondamentalement, il affirme que Statistique Canada lui donne raison, que l’écart Qc-Ontario est seulement de 8.6% et que le logement n’est pas un problème. Voici ma réponse, très technique, qui vise à illustrer que Pierre Fortin a tort et qu’il devrait cesser de répèter ses propos visant à présenter une situation trop optimiste qui sert d’illusion pour certains commentateurs:
Réponses aux propos de M.Fortin
RÉSUMÉ DE CETTE RÉPONSE : 1) Même si l’estimé de 8.6% est accepté sans critiques quant au sujet des prix du logement, l’effet des biens subventionnés (mais qu’on paie via nos impôts) ramène cet estimé libéral très proche de zéro (et le rend défavorable au Québec si on utilise des estimés plus conservateurs comme celui de M.Coiteux à 5%). Ainsi, si tous les points 2 à 5 que je fais ici sont faux, l’argument Fortin est quand même invalide. Et si les points 2 à 5 sont vrais, mais dans une ampleur inférieure à mon propre argument, ils réduisent encore plus la portée de l’argument de M.Fortin. 2) Les données qu’utilise M.Fortin démontrent clairement que pour tous les biens autres que le logement et les biens subventionnés, les Québécois paient des prix égaux à ceux des Ontariens et puisque les salaires sont plus bas au Québec, il faut travailler plus longtemps pour les acquérir; 3) Statistique Canada et les autres agences statistiques admettent ouvertement ET CLAIREMENT que leurs méthodes de compilation des prix du logement n’est pas utilisable pour des comparaisons inter-régionales. 4) Les prix du logement utilisés par Statistique Canada reflètent l’état respectif des marchés régionaux lorsqu’ils sont chacun à l’équilibre. Si le Québec devait demander un niveau de qualité égal (plus de maisons plus larges) à celui observé en Ontario, le prix du logement au Québec augmenterait vers un nouveau point d’équilibre plus élevé. Puisque la demande est déterminée par le revenu réel, les prix sont plus bas parce que le revenu est plus bas (un fait bien documenté dans la littérature puisque les prix du logement ont tendance à augmenter avec le revenu). 5) Les Québécois sacrifient sur les dépenses connexes de logement, notamment les biens complémentaires comme les électroménagers, les services de téléphonie, d’internet et de télévision.
Introduction
D’amblée, il faut que je fasse un commentaire sur la nature de mes critiques de l’argument de M.Fortin. Prises individuellement, chacune de mes critiques n’invalident pas l’argument présenté. Toutefois, lorsqu’ils sont considérés dans leur ensemble, mes critiques réduisent l’ampleur du phénomène. Personne ne nie qu’il existe des différentiels de prix à certains égards, mais ils ne sont pas aussi importants que M.Fortin l’affirme. De plus, il faut aussi comprendre qu’une partie de ces prix inférieurs n’est pas du tout « cause à célébration » puisqu’ils résultent de la pauvreté relative du Québec.
8.6% vraiment?
Admettons pour un moment que toutes mes critiques sont fausses, sauf celles sur les subventions. Prenons donc le 8.6% que M.Fortin pour « du cash ». Au final, juste en retirant les effets de l’électricité subventionné (si on payait au prix du marché, le niveau des prix serait 3% plus élevé maintenant selon mon étude), on réduit l’estimé de M.Fortin à 5.0%. Imaginez si on ajoute la correction pour les frais de garde, les frais de scolarité et la SAAQ. Le 8.6% de M.Fortin est pas mal plus proche de zéro. Et si on admet que l’estimé de M.Coiteux (à 5%) est vrai, on parle probablement d’un coût plus élevé au Québec.
L’écart pour les prix autres que le logement
Les données de Statistiques Canada sont probantes sur les autres prix. Lorsqu’on regarde le tableau que j’ai produit dans mon étude et celui dans l’article de M.Fortin, on remarque que les vêtements sont généralement au même prix à travers le Canada tout comme l’alimentation et l’essence. Il est normal pour un économiste de voir ces biens avoir des prix équivalents puisque ce sont des biens échangés internationalement. Toutes les possibilités d’arbitrage sont utilisées et le prix des biens convergent conformément à la loi du prix unique. À l’exception des items que je vais mentionner plus bas, les prix ont tendance à être égaux. Pour bien illustrer, il suffit de remarquer qu’entre Montréal et Toronto, le prix de la plupart des biens non-subventionnés sont quasiment identiques. Si on pouvait ajouter les différences de prix provenant des villes de Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Hamilton, Ottawa, Sudbury, North Bay etc., on verrait que les prix ont tendances à s’égaliser.
Prix en % de la moyenne des villes pour les secteurs avec aucune distortion gouvenrmentale, octobre 2012
Montréal | Toronto | Ottawa | |
Alimentation | 101% | 100% | 100% |
Dépenses courantes, ameublement et équipement du ménage | 98% | 104% | 103% |
Vêtements et chaussures | 102% | 100% | 101% |
Transports | 100% | 106% | 98% |
Soins de santé | 100% | 101% | 103% |
En fait, si on regarde les statistiques les mieux conçues pour comparer les prix absolus – les mesures de pauvreté. Puisqu’elles sont conçues pour atteindre un seuil absolu comparable de bien-être à travers les régions, Statistiques Canada rend disponible le coût des composantes de son panier de biens pour s’extraire de la pauvreté. Si on prend les domaines de l’alimentation et du vêtement, on réalise que les Québécois doivent payer BEAUCOUP plus cher pour ces biens, surtout dans les villes moyennes. Toutefois, le point de départ de Toronto-Montréal que M.Fortin utilise est incapable de capturer la réalité décrite plus bas!
Différence de prix lorsqu’on utilise le panier MPC de pauvreté conçu par Statistique Canada, 2011
Alimentation | Vêtements | |
Québec population 100,000 à 499,999 | 10,532$ | 1940$ |
Ontario population 100,000 à 499,999 | 9760$ | 1842$ |
Différence | 7.33% de plus au Québec | 5% de plus au Québec |
Source : Statistics Canada. Table 202-0809 – Market Basket Measure Thresholds (2011 base) for reference family, by Market Basket Measure region and component, 2011 constant dollars, annual (dollars), CANSIM (database).
Les autres différences – énergie (-27% selon M.Fortin), dépenses courantes du ménage incluant la garde d’enfants (-9% selon M.Fortin), assurance automobile (-30%) et éducation (-53%) – sont explicables fondamentalement par le fait que le gouvernement du Québec subventionne artificiellement le prix de ces items (bloc patrimonial, frais de scolarité bas, SAAQ, CPE). Le prix est simplement assumé par les impôts sur le revenu, qui ne sont pas inclus dans les indices du coût de la vie. On fait juste les payer autrement.
Ainsi, tous les biens non-subventionnés indirectement sont égaux et parce que les Québécois ont des salaires plus bas, ils doivent travailler plus longtemps pour ces biens. Pour les biens dont le gouvernement subventionne les prix, on fait simplement payer autrement – par des impôts. Difficile de parler d’un coût de la vie inférieur au Québec dans ce cas lorsqu’on doit travailler plus longtemps pour ces biens ou qu’on doit sacrifier une portion plus importante de nos revenus pour les obtenir.
Statistique Canada n’est pas du bord de M.Fortin
M.Fortin fait une erreur aussi en affirmant que Statistique Canada va « de son bord ». Au contraire, Statistique Canada répète constamment ses avertissements de ne pas faire ce que M.Fortin fait. Par exemple, les données de l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) ne sont pas conçues pour mesurer des différences inter-régionales. De l’aveu même de Statistique Canada :
It should be noted that price data for the Inter-city indexes is drawn from the sample of monthly price data collected for the Consumer Price Index (CPI). Given that the CPI sample is optimized to produce accurate price comparisons through time, and not across regions, the number of matched price quotes between cities can be small. It should also be noted that, especially in periods when prices are highly volatile, the timing of the commodity price comparison can significantly affect city-to-city price relationships.
Les emphases dans ce passage sont les miennes, mais il est particulièrement important de noter le segment souligné! Alors que Statistique Canada n’inclut pas le prix des maisons et seulement le logement locatif, il faut ajouter qu’une des composantes du prix du logement dans son ensemble (locatif + propriétaire) est très volatile – les hypothèques (mortgage interest cost – voir ici pour la catégorisation de volatile par la Banque du Canada et Statistique Canada – http://www.statcan.gc.ca/pub/62-001-x/2012012/technote-notetech1-eng.htm).En conséquent, les indices inter-régionaux ne considèrent pas adéquatement les coûts du logement. Ceci joue nettement en défaveur de l’argument de M.Fortin. Additionellement, Statistique Canada émet un avertissement grave sur les données du logement dans les tableaux de comparaisons inter-régionales dont se sert M.Fortin :
Additionally, the shelter price concept used for these indexes is not conducive to making cost-of-living type comparisons between cities (see below).(…) Such an approach uses market rents as an approximation to the cost of the shelter services consumed by homeowners in each city. It is important to note that this approach may not be suitable for the needs of all users. For instance, since the rental equivalence approach does not represent an out-of-pocket expenditure, the indexes should not be used for measuring differences in the purchasing power of homeowners across cities. (source: http://www.statcan.gc.ca/pub/62-001-x/2012012/technote-notetech1-eng.htm)
De plus, le terme « rental equivalence » (soulignée dans le dernier passage) est un concept mal compris de plusieurs. Il est conçu pour mesurer le changement des prix et non pas les comparaisons inter-régionales des prix. Voici comment fonctionne le « rental equivalence »
The rental equivalence approach asks how much the homeowner would be willing to accept in rent for the dwelling, and the user cost approach focuses on the opportunity cost of owning and using the dwelling. These approaches are operationally different, but are conceptually equivalent (…) Rental equivalence uses observed market rents as approximations for cost of homeownership and, more generally, housing. This approach asks, “how much the homeowner would charge someone such as himself to rent his house”?
Ainsi, on présume que les loyers observés représentent la valeur du logement des propriétaires! Toutefois, ce n’est pas la même chose qu’affirmer qu’on tient compte de la qualité! Si on devait augmenter la qualité sur le marché (hausse du taux de propriété, maisons plus grandes, terrains plus grands, rénovations effectuées), les loyers augmenteraient (voir mon prochain point). Ainsi, on peut voir comment le calcul des loyers n’est pas du tout approprié pour les comparaisons des niveaux inter-régionales (mais le sont pour la mesure des changements de niveaux par région) dans cette étude de l’Université de la Pennsylvanie et du Penn Institute for Urban Research (et en collaboration avec la Fed d’Atlanta) qui construit un « Local afforability index » (LAI) visant à comparer les prix par région:
A common criticism of rental equivalence is that the average quality of rental stock in an area may differ greatly from the average quality of owner-occupied stock. Because the CPI measures changes over time this is not a problem so long as the two stocks experience similar rates of inflation. However, the LAI is concerned with relative price levels, not price changes. These differences are consequential for the LAI and would suggest strongly against adopting a rental equivalence approach that does not measure the cost of owner-occupied housing based on the cost to the household consuming the housing services. Source (http://www.locationaffordability.info/downloads/Third%20Party%20Review.pdf)
Erwin Diewert à l’Université de la Colombie-Britannique ajoutait que les logements comparés ne sont nécessairement équivalents en qualité. Voici son propos datant de 2003 :
For existing stocks of used consumer durables, the rental equivalence approach would entail finding rental prices for comparable used units. To date, as noted above, statistical agencies have not done this, with the single exception of owner occupied housing. Source: http://papers.economics.ubc.ca/legacypapers/dp0308.pdf
Ainsi, M. Fortin se base sur des données qui sont conçues pour les comparaisons inter-temporelles et non pas inter-régionales! Il s’agit d’un fait reconnu par les gens qui construisent des indices statistiques des prix tant à Statistique Canada, qu’à la Federal Reserve qu’à l’Université de la Pennsylvanie.
Le prix du logement et la qualité
M.Fortin confond plusieurs éléments dans son analyse et fait une erreur tragique d’analyse économique. Les prix observés pour le logement au Québec et en Ontario sont différents en raison du niveau de qualité demandée dans chaque province. Toutefois, dans les deux provinces, l’offre de logement est relativement similaire à moyen et long terme. L’offre s’adapte à la demande et le prix observé est un prix d’équilibre en fonction de la qualité demandée. Le prix est plus bas au Québec parce que les Québécois demandent des maisons plus petites et demandent moins de maison. Ceci fait en sorte de baisser la demande de logement (mesurée en pieds carrés). Ainsi, lorsque M.Fortin compare les marchés du logement, il compare un marché avec un taux de propriété de 60% (et des nouvelles maisons de 1500 pieds carrés en moyenne – voir ici : LIEN) avec un marché dans lequel le taux de propriété est de 67% (et les nouvelles maisons sont en moyenne de 2000 pieds carrés). Non seulement cela, mais les données de la SCHL et de Statistiques Canada montrent que les maisons au Québec sont beaucoup plus souvent en besoin de « rénovations majeures ». Les deux prix ne sont pas comparables et Statistique Canada ne peut pas tenir compte de ces différences. Maintenant, imaginons que les Québécois devaient (de manière exogène et toutes choses étant égales par ailleurs) exiger une qualité de logement équivalente à celle des Ontariens, le prix d’équilibre du logement augmenterait massivement. Une demande de terrains plus importante aurait tendance à faire augmenter les prix du logement, notamment au titre des maisons. En réduisant l’offre de terrains pour les logements locatifs, il y a un prix plus élevé pour le logement locatif. Non seulement cela, mais en poussant les gens vers les banlieues, la congestion augmente, ce qui fait en sorte de rendre les logements locatifs en ville plus dispendieux. Ainsi, si le Québec demandait exactement la même qualité que l’Ontario, le prix serait plus élevé!
La raison pour laquelle il y a une différence de qualité demandée entre les deux provinces qui affecte le prix d’équilibre entre les deux provinces, c’est parce que le Québec est plus pauvre. Lorsqu’une société est plus pauvre, elle a tendance à se permettre des logements plus petits et plus souvent des logements locatifs. Le prix d’équilibre inférieur du logement est le résultat d’un revenu réel inférieur. Généralement, les études économétriques montrent que le prix du logement augmente en lien avec le revenu moyen ou le revenu médian. Un revenu médian plus égale un prix médian plus bas. Il y a une importante littérature économique sur le sujet. C’est d’ailleurs l’économiste (et ancien ministre libéral) Alain Paquet qui m’avait fait remarquer ce point suite à ma réponse initiale à M. Fortin. Un point dont j’avais – jusqu’à la rédaction de mon étude – manqué l’importance cruciale. Il suffit de l’illustrer avec un graphique simple d’offre et de demande pour voir les effets.
Note : Imaginez maintenant que le Québec demande la même qualité de logement que l’Ontario, le prix va grimper c’est clair. Le bas prix résulte du fait que le marché à l’équilibre reflète une pauvreté inférieure du Québec.
Les dépenses complémentaires de logement et les préférences différentes
Dans mon étude du CPP, j’ai parlé brièvement (trop brièvement maintenant que j’y pense) des différences de dépenses complémentaires quant aux installations domestiques (exemple : internet, ordinateur, cablodiffusion, téléphonie, électroménagers etc.). Ces dépenses sont associées indirectement au logement et lorsque les familles considèrent le choix d’un logement, ils considèrent le prix du logement en fonction de leur revenu. Toutefois, au prix du logement, ils ajoutent le coût d’installation de ces éléments complémentaires. Au Québec, tous ces biens sont moins présents (et ce indépendamment du quintile de revenu des individus) qu’en Ontario. Il est possible que les Québécois décident de sacrifier sur ces dépenses afin d’avoir un logement. Toutefois, si ils devaient obtenir exactement les mêmes caractéristiques complémentaires de logement que les Ontariens, ils devraient sacrifier sur le prix du logement. Ainsi, ils devraient vouloir des logements plus petits, moins bien situés, plus vieux, en besoin de rénovations etc. Ceci affecte le prix d’équilibre du logement, ce qui les rend plus difficiles à comparer pour « dégonfler » les prix. Au final, le prix d’équilibre du Québec est différent.
Conclusion
Si un écart réel existe, il est minuscule et peut-être joue en faveur de l’Ontario, résulte du fait qu’on est plus pauvre au Québec parce que le marché du logement est à point d’équilibre plus bas qu’en Ontario. Au final, les Ontariens doivent travailler moins longtemps que nous! Et Imaginez les AUTRES canadiens…
intéressant